Comment compte procéder le Président de la République si on sait que le prochain gouvernement sera, conformément aux dispositions exceptionnelles, sous ses ordres ? Par où commencer ? De quels moyens dispose-t-il ? Saura-t-il faire face aux lobbies de corruption ?
La lutte contre la corruption en Tunisie tarde toujours à se hisser au rang de véritable enjeu politique et sociétal national. A l’exception de quelques actions et campagnes spectaculaires hautement médiatisées, en matière de lutte contre ce fléau, le statu quo est maintenu. Il suffit de rappeler que l’Instance de lutte contre la corruption mise en place en vertu des dispositions de la Constitution de 2014 fait l’objet elle-même de soupçons de corruption. Son activité a été gelée à l’issue des décisions du 25 juillet dernier.
Il n’en demeure pas moins que la volonté populaire pousse vers une véritable guerre sans merci contre ce fléau aussi vieux que le temps qui gangrène la société tunisienne. Il ne se passe pas un jour sans que l’on entende parler d’une descente dans un entrepôt, d’une arrestation ou encore d’un démantèlement d’un réseau de malfaisance, mais encore faut-il le rappeler, les différents rapports et études ayant interrogé ce phénomène sont convenus qu’il s’agit de pratiques profondément enracinées dans la société tunisienne et, notamment au sein de l’administration, on évoque toujours un système corrompu.
De la petite corruption, aux lobbies d’influence et de pression, passant par le monopole et la spéculation, le défi est, certes, de taille, alors que les moyens mis à disposition pour lutter contre ce fléau sont extrêmement limités, s’accordent à dire les observateurs.
En désignant Najla Bouden au poste de chargée de former le gouvernement, Kaïs Saïed a déjà annoncé la couleur de la prochaine formation gouvernementale. Le premier objectif du Président de la République et peut-être sa première prérogative, étant de lutter contre la corruption en Tunisie.
Comment compte-t-il procéder si on sait que le prochain gouvernement sera, conformément aux dispositions exceptionnelles, sous ses ordres ? Par où commencer ? De quels moyens dispose-t-il ? Saura-t-il faire face aux lobbies de corruption ?
D’un discours à une réalité
Au fait, depuis le début de son mandat, et lors de son discours d’investiture à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), Kaïs Saïed s’était engagé à lutter fortement contre la corruption. Deux ans après son élection, il ne rate aucun discours ou aucune apparition médiatique pour dénoncer ce fléau et menacer les corrompus en leur promettant la ferme application de la loi.
A l’issue des décisions du 25 juillet, le Président de la République a également promis de mettre fin à ce fléau dont souffre la population tunisienne, d’ailleurs, sa rupture avec tous les partis politiques intervient dans ce sens.
Reste maintenant à savoir comment va-t-il procéder ? En tout cas, tout le défi réside dans les moyens de transformer ces discours politiques en de véritables mécanismes de lutte contre la corruption.
Si la majorité des Tunisiens estime que la corruption s’est répandue davantage depuis 2011, comme l’attestent les différents sondages et enquêtes, le premier défi est de convaincre les Tunisiens de la nécessité de s’inscrire dans cette mouvance anti-corruption. Car une chose est sûre, si la corruption est largement répandue dans la société, les Tunisiens n’y sont pas pour rien, certains comportements, même les plus simples, sont à revoir.
En effet, ce constat représente un défi majeur pour rétablir la confiance des citoyens en les institutions publiques pendant le processus de transition démocratique en Tunisie. Car sans l’adhésion des Tunisiens à ce processus anti-corruption, il ne faut s’attendre à aucune avancée sur ce plan. C’est, d’ailleurs, l’avis de l’ancien député, Sahbi Ben Feraj, qui estime que la Tunisie doit mettre en place tout un système anti-corruption et non pas se limiter aux campagnes exceptionnelles. «Ce sont des mesures et des procédures qu’il nous faut. Sa (Kaïs Saïed) volonté et sa popularité sont indispensables pour mener cette guerre. Mais il faudrait mettre des mécanismes et tout un système anti-corruption appuyés par des lois et des procédures. Malheureusement, ce système mafieux, on ne peut le combattre par des actions spectaculaires qui sont nécessaires parfois, mais qui restent insuffisantes», soutient-il.
Quels moyens ?
Quid de l’actuel arsenal juridique de lutte contre la corruption ? Si le combat contre la corruption, qui a été l’élément déclencheur du mouvement du peuple tunisien en 2011, est un enjeu crucial pour la Tunisie puisque le fléau est malheureusement toujours endémique, le cadre légal de lutte contre la corruption ne fait pas l’unanimité.
Au fait, les différents rapports ayant questionné ce point recommandent d’introduire des dispositions supplémentaires au cadre légal tunisien de lutte contre la corruption. Il est notamment question d’introduire un dispositif permettant une meilleure coordination des actions anti-corruption entre les différentes parties impliquées, dont notamment la branche exécutive du pouvoir et la justice.
Ces rapports appellent également à ce que l’Inlucc soit dotée de ressources et moyens nécessaires et suffisants (financiers et humains) pour lui permettre de s’acquitter de ses missions avec efficacité et s’assurer qu’elle fonctionne en toute indépendance
Encore, si la volonté politique est un élément clé de l’application de cette stratégie de lutte contre la corruption, de nouveaux mécanismes légaux et procéduraux en phase avec les besoins de la Tunisie en matière de modernisation et de numérisation s’annoncent obligatoires pour lutter efficacement contre ce fléau.
Les dossiers qui attendent Bouden
La première prérogative donnée à la nouvelle Cheffe du gouvernement, que certains appellent plutôt Premier ministre, n’est autre que la lutte contre la corruption, elle est, donc, appelée à dresser une stratégie, voire une feuille de route pour savoir par où commencer. Déjà, les dossiers sur son bureau seront interminables et les attentes des Tunisiens le sont encore plus. Le premier dossier ne sera que la lutte contre les pratiques de monopole et de spéculation, le Chef de l’Etat a déjà inauguré le chemin, durant ces dernières semaines.
Najla Bouden sera également appelée à ouvrir le dossier de la corruption politique et, notamment, celui du financement des partis politiques, mais aussi des associations, dont les ramifications seraient complexes. Les grands dossiers de corruption, comme celui de la Banque franco-tunisienne seront également sur la table de la Cheffe du gouvernement.
A cela s’ajoute également la question de la numérisation des différentes procédures administratives, notamment au niveau des ports tunisiens et la mise en place de tous les moyens de lutte contre la contrebande et l’économie parallèle qui coûtent extrêmement cher à l’Etat tunisien. La mission est, certes, difficile !